Les multiples origines de la langue française : le latin, certes… mais pas que !
Le temps d’un article, le rédacteur du site du collège vous fait entrer dans la petite cuisine du collège, un récit de l’intérieur, pour vous partager la réalité de nos discussions, de nos conversations – de notre travail.
Dans ces temps d’inscriptions dans l’option latin (notons qu’à l’heure où nous écrivons ces lignes, où il y reste trois places – attention c’est la toute dernière ligne droite pour s’inscrire…), alors que nous écrivons des articles (voir ici ou là…) pour rappeler les opportunités que donnent le suivi de cet enseignement, et que nous appelons quelques parents pour leur proposer d’y inscrire leur enfant à partir de la classe de 5e, nous avons prononcé plusieurs fois, depuis trois jours, la même idée, que nous pourrions synthétiser dans cette phrase : « Vous pensez que le latin est une langue morte, mais ce n’est pas vrai : le latin, nous le parlons tous les jours, car le français, c’est du latin, un latin modernisé. » Un discours évidemment réducteur, destiné à résumer de longues minutes d’argumentation en une formule choc et convaincante…
C’est ainsi la phrase que j’ai à peu près dite, ce soir, au téléphone, à un parent d’élève envers qui je portais la bonne parole du latin, et qui me rappelait fort obligeamment et fort poliment, suite à un message vocal, puis un SMS l’invitant à prendre contact avec moi dans cette éventualité. Je lui disais, pour résumer l’idée : « quand on parle français, on parle latin ». Ce à quoi ce parent, après un petit temps de réflexion, m’a fort justement répondu, en substance : « On dit toujours cela, mais il ne faudrait pas oublier que le français ne vient pas que du latin. Par exemple, le français, c’est aussi de l’arabe. Et plutôt qu’étudier une langue morte, ce serait peut-être plus pertinent d’étudier une troisième langue vivante !».
Que croyez-vous que j’aie alors répondu à ce parent ? Mais évidemment… qu’il avait raison, et que mes raccourcis étaient par trop imprécis pour bien représenter ma pensée. Car oui, le français est une langue éminemment cosmopolite, ayant emprunté aux multiples civilisations qui ont entouré les frontières mouvantes du pays, tout au long de son histoire, et ayant su importer de chaque culture les notions dont elle s’enrichissait. Remontons rapidement le fil du temps :
De la langue gauloise, alors que le cliché a semblé admettre pendant longtemps qu’elle était la langue de « nos ancêtres », nous n’avons gardé, en tout, qu’une centaine de mots, parmi notre lexique de 35 000 mots courants. En effet, le gaulois était une langue orale, qui ne s’écrivait pas… Elle évoluait et changeait ainsi très rapidement (car l’écriture entraîne la possibilité de l’apprentissage sur plusieurs générations…), et nous n’avons quasiment pas gardé de trace.
Quand les Romains ont envahi la Gaule, puis ont imposé la pax romana (la paix romaine) sur leur empire élargi, le latin a ainsi peu à peu envahi les langues, se substituant au gaulois et aux autres langues, dialectes et patois parlés dans les différents territoires composant ce qui est aujourd’hui la France, mais se mêlant aussi à elles et à eux, dans un capharnaüm (tiens, un mot hébreu…) syntaxique et lexical, aboutissant à ce qu’on appellerait aujourd’hui l’ancien français. Environ 80 % du vocabulaire français actuel vient ainsi du latin.
Au IVe siècle, les invasions germaniques de l’empire romain (invasions dites « barbares », ce mot désignant « l’étranger » en latin) y apportèrent leur lot d’enrichissement de vocabulaire, avec de nombreux nouveaux mots (une bannière, une guerre, gagner, un jardin…), qu’on peut dénombrer aujourd’hui à environ 800 dans notre lexique actuel. C’est paradoxalement un empereur né à Aix-la-Chapelle (ville aujourd’hui située en Allemagne), parlant essentiellement un dialecte germain, qui imposa le latin comme langue de son empire, comme manière de développer l’écrit comme moyen de diffusion de la connaissance. Il y eut ainsi une sorte de déconnexion, allant grandissante, entre la langue de l’administration et des études (le latin), et les langues des peuples (le – ou les – français), la première étant réservée aux lettrés et aux clercs, et la deuxième, mâtinée de la première, étant parlée au quotidien. C’est ainsi que le latin s’est figé, et que le français a avancé. Vous venez de comprendre pourquoi le français, c’est du latin, mais pas que…
Il fallut ensuite attendre l’ordonnance de Villers-Cotterêts, prise en 1539 par François 1er, et la « Défense de la langue française » de Joachim du Bellay, publié en 1549, pour que le français s’impose à la fois comme une la langue du droit et de l’administration, mais aussi celle de la culture et de la littérature. Adieu le latin, vive le français.
Outre le latin, notre langue doit également beaucoup au grec ancien : environ 10 % des mots de notre vocabulaire. De nombreuses autres langues ont également influé sur notre lexique : il y a en français des mots anglais (week-end, football, corner…) ou prétendument anglais car réempruntés au français (tennis, toast, spoiler…) ou même totalement réinventés (footing, pressing, pull, smoking…) ; des mots allemands (Le képi, un blockhaus, un vasistas, la valse…), des mots italiens (banque, grotesque, alarme, cantatrice, artichaut, perruque…), des mots espagnols (tomate, hasard, camarade, tabac…) ; des mots japonais (judo, tsunami, typhon, kamikake, manga…) ; des mots portugais (balise, bambou, jaguar, mangue…) ; des mots russes (blini, bortsch, goulag…) ; des mots chinois (thé, ginseng, wok, taoïsme, yin et yang…)… Cela marche avec TOUTES les langues… et même l’esquimau : kayak, anorak, igloo…
Mais alors… et l’arabe, dont nous parlions au début de cet article ? Nous ne l’avons pas encore cité… L’arabe a-t-il vraiment modifié le français ? Hé bien c’est le lexiocologue (en latin : « celui qui étudie les mots ») Jean Pruvost qui nous explique cela le mieux, dans une vidéo de 5 minutes que vous trouverez en bas de cet article, mais aussi dans un livre, qu’il a malicieusement appelé Nos ancêtres les Arabes, ce que notre langue leur doit, en référence à ces fameux Gaulois qui ne nous ont laissé en héritage qu’une petite centaine de mots…
Jean Pruvost, qui est aussi le fameux Doc Dico sur la radio Mouv’, nous explique ainsi que la langue arabe est extrêmement présente dans la langue française, dont elle la troisième langue d’emprunt, après l’anglais et l’italien, avec près de 600 mots empruntés (six fois plus que le gaulois, donc !). L’arabe n’a cessé d’enrichir notre langue entre le IXe siècle et aujourd’hui, et surtout, dès le départ, dans les domaines scientifiques. En effet, les chiffres que nous utilisons au quotidien sont bien les chiffres arabes, et tous ceux qui galèrent aves les chiffres romains (donc latins) comprennent en quoi ces chiffres (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 et surtout 0, qui n’existe pas en chiffre romain…) sont bien plus pratiques pour exercer des calculs que les I, II, II, IV, V, VI, VII, VIII, IX et X des latins… D’ailleurs, les mots « algèbre », « chiffre », « zéro », « chimie » ou « algorithme » nous viennent directement de l’arabe.
Mais de très nombreux autres mots du vocabulaire courants nous viennent de l’arabe : hasard, jupe, zénith, matelas, mousson, café ou nénuphar… L’histoire de ce dernier mot est symptomatique, car on y a ajouté un ph pour valider une incertaine origine grecque, mais il devrait bien s’écrire nénufar, avec un f… car venant du sanskrit nilautpala, devenu en persan nilufar, puis ninufar en arabe… Lorsque nous vous disions que les langues sont vivantes…
L’arabe, langue populaire, a par ailleurs donné de très nombreux mots du langage familier ou argotique, dont les fameux toubib (médecin), kiffer (profiter), avoir le seum, faire la nouba, être dans la hess…Ainsi, sans le savoir, nous parlons (un peu) arabe chaque jour, en parlant le français.
Alors, pourquoi étudier le latin au collège et non pas l’arabe ou l’italien, par exemple ? Hé bien tout simplement parce qu’en étudiant le latin, on n’étudie pas seulement des mots, on étudie le système d’une langue. D’abord une syntaxe… Mais aussi car les mots latins (et grecs) ont donné à notre langue cet incroyable entrelacs de préfixes et suffixes qui, apposés aux radicaux, donnent une infinité de nouveaux mots qui deviennent instantanément compréhensibles. Comprendre les origines de ces mots (leur étymologie), c’est augmenter quasi-indéfiniment sa capacité à s’emparer d’un lexique infini, pour comprendre, mais aussi créer de nouveaux mots (faire des « néologismes » – tiens, cela veut dire « nouveau mot » en latin, comme la langue est bien faite…), pour ne pas se contenter d’utiliser sa langue, mais en faire un objet de savoir, de puissance, de résonance intellectuelle et de plaisir.
Moralité : oui, apprenez des langues vivantes, autant que possible. Et inscrivez-vous aussi en latin !
L’auteur de ces lignes remercie chèrement, donc, ce parent d’élève, qui se reconnaîtra sans doute, et qui l’a aidé ce soir à comprendre tout cela, grâce à cette conversation téléphonique de 21 minutes.