La picachanson n°86 : Les copains d’abord

Lorsque, en novembre 2023, le site internet du collège a crashé, et que nous avons perdu l’intégralité de son historique, avaient été publiées sur le site, depuis 6 ans, quatre-vingt-cinq picachansons (des articles brassant l’actualité autour de chansons, en en remobilisant les contenus littéraires, musicaux, historiques, artistiques, autour de l’actualité du collège et des programmes du cycle 3 et du cycle 4, toutes matières confondues).

Nous reprenons donc à la picachanson n°86, le temps de quelques ultimes articles avant de passer définitivement le relais… Et ce samedi 6 juillet, nous nous reportons opportunément vers la chansons de Georges Brassens, Les copains d’abord, parue en 1964 dans l’album portant également son nom. La chanson fut écrite spécialement pour le film d’Yves Robert, Les Copains, adaptant le roman du même nom de Jules Romains.

Cette chanson peut être étudiée en classe français, au cœur du programme de 5e, sur le thème « Vivre en société, participer à la société : avec autrui, famille, amis, réseaux. » Elle compare la trajectoire d’amitié du chanteur avec un bateau voguant sur la mer, filant la métaphore autour des notions de tangage (avec la locution latine fluctuat neg mergitur, devise de la ville de Paris, à traduire comme « elle tangue, mais ne coule pas »), de solidarité, de liberté (« toutes voiles dehors »), d’insouciance… mais aussi de tempête (« SOS », « sémaphore »…), et même de naufrage. La toute première référence de la chanson est ainsi celle du radeau de la Méduse (« Non, ce n’était pas le radeau / De la Méduse, ce bateau »).

Le Radeau de La Méduse est une célébrissime peinture à l’huile sur toile, aux tailles monumentales (près de 5 m de hauteur, et plus de 7 m de largeur), peinte en 1819 par le peintre romantique français Théodore Géricault, et visible aujourd’hui au musée du Louvre, à Paris. Elle représente un épisode tragique de l’histoire de la marine coloniale française : le naufrage de la frégate Méduse, le 2 juillet 1816, au large de l’Afrique (à 60 km de l’actuelle Mauritanie). Après le naufrage du bateau, au moins 147 personnes se hissent sur un radeau de fortune, qui se met à dériver. Deux semaines plus tard, seules quinze d’entre elles sont finalement secourues par un bateau, l’Argus, parti à leur recherche, et seuls dix personnes auront finalement survécu.

Le Radeau de La Méduse de Théodore Géricault.

Mais ce n’est pas la seule référence historique de la chanson… Brassens évoque aussi, au détour d’une expression dont il a le secret, « Au moindre coup de Trafalgar / C’est l’amitié qui prenait l’quart », une bataille napoléonienne célèbre, celle de Trafalgar. Dans cette bataille, perdue par Napoléon en 1805 (mais au cours de laquelle le vice-amiral Nelson avait trouvé la mort), les troupes anglaises avaient fait preuve d’une remarquable organisation, piégeant les 35 vaisseaux de l’empereur français dans une terrible bataille qui avaient mis à l’épreuve la solidarité des troupes marines hexagonales… L’expression « prendre le quart », évoquant le tour de garde alterné des militaires, file la double métaphore de la guerre et de la vigilance, et, mine de rien, utilise la figure de la personnification, voire de l’allégorie, un sentiment (l’amitié) se trouvant soudainement doté de la capacité d’action et de décision…

La bataille de Trafalgar, peinte en 1836 par Auguste Mayer.

Au cœur de la chanson, notons encore ces deux vers : « C’était pas des amis choisis / Par Montaigne et La Boétie ». Brassens fait ici référence à deux très grands écrivains du XVIe siècle, Michel de Montaigne et Etienne de la Boétie. Les deux étaient d’immenses amis, à tel point qu’ils étaient devenus inséparables, et même, suivant le premier, que leurs « deux âmes se mêlent et se confondent l’une en l’autre. » Montaigne a ainsi écrit, en 1580, un texte nommé De l’amitié (publié à titre posthume dans Les Essais), dont voici le passage le plus célèbre :

En plaçant ainsi sous l’égide de Montaigne sa chanson-hommage à l’amitié, Georges Brassens semble faire écho à cette phrase de l’auteur des Essais : « Qui se connaît, connaît aussi les autres, car chaque homme porte la forme entière de l’humaine condition. »

Et c’est donc avec l’aide de Montaigne que nous avons envie de résumer toute la chanson Les copains d’abord de Brassens à cette phrase… Voyez-vous plus belle définition de l’amitié ?

Bonne chanson, bonnes amitiés et à demain pour la 87e picachanson.


Les copains d'abord
Georges Brassens

Non, ce n'était pas le radeau
De la Méduse, ce bateau
Qu'on se le dise au fond des ports
Dise au fond des ports

Il naviguait en père peinard
Sur la grand-mare des canards
Et s'appelait les Copains d'abord
Les Copains d'abord

Ses fluctuat nec mergitur
C'était pas d'la littérature
N'en déplaise aux jeteurs de sort
Aux jeteurs de sort

Son capitaine et ses matelots
N'étaient pas des enfants d'salauds
Mais des amis franco de port
Des copains d'abord

C'était pas des amis de luxe
Des petits Castor et Pollux
Des gens de Sodome et Gomorrhe
Sodome et Gomorrhe

C'était pas des amis choisis
Par Montaigne et La Boétie
Sur le ventre, ils se tapaient fort
Les copains d'abord

C'était pas des anges non plus
L'Évangile, ils l'avaient pas lu
Mais ils s'aimaient toutes voiles dehors
Toutes voiles dehors

Jean, Pierre, Paul et compagnie
C'était leur seule litanie
Leur Credo, leur Confiteor
Aux copains d'abord

Au moindre coup de Trafalgar
C'est l'amitié qui prenait l'quart
C'est elle qui leur montrait le nord
Leur montrait le nord

Et quand ils étaient en détresse
Qu'leurs bras lançaient des S.O.S
On aurait dit des sémaphores
Les copains d'abord

Au rendez-vous des bons copains
Y avait pas souvent de lapins
Quand l'un d'entre eux manquait à bord
C'est qu'il était mort

Oui, mais jamais, au grand jamais
Son trou dans l'eau n'se refermait
Cent ans après, coquin de sort
Il manquait encore

Des bateaux j'en ai pris beaucoup
Mais le seul qu'ait tenu le coup
Qui n'ait jamais viré de bord
Mais viré de bord

Naviguait en père peinard
Sur la grand-mare des canards
Et s'appelait les Copains d'abord
Les Copains d'abord

Des bateaux j'en ai pris beaucoup
Mais le seul qu'ait tenu le coup
Qui n'ait jamais viré de bord
Mais viré de bord

Naviguait en père peinard
Sur la grand-mare des canards
Et s'appelait les Copains d'abord
Les Copains d'abord

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